Éditions Universitaires
Européennes & démarchage :
Extrême vigilance !!!
Depuis le début de mois de
novembre 2018, je suis officiellement inscrit en thèse de doctorat
en Histoire moderne, à l'Université de Bretagne Occidentale, située
à Brest. Mon projet de thèse date déjà de plusieurs années,
j'ai déjà rédigé quelques parties, mais mon travail est très
loin d'être terminé. Je n'ai donc pour le moment absolument rien à
publier en l'état.
Or, le 15 novembre dernier,
soit à peine deux semaines après mon inscription officielle, je
reçois ce mail, qui m'est personnellement adressé (et, pour une
fois, sans faute à mon nom, en plus !!), provenant des Éditions
Universitaires Européennes (EUE) :
Cher Monsieur Pérennès
Ronan,
Je suis ##### ##### et au
nom des Éditions Universitaires Européennes, je voudrais vous
inviter à publier un de vos travaux de recherche dans le domaine
Histoire (un manuel, votre thèse ou dissertation). Qu'en
pensez-vous?
Notre maison d'édition se
donne pour objectif de développer les échanges entre chercheurs,
enseignants et simples curieux afin de dessiner les contours du monde
scientifique, technique et culturel de demain.
A cet effet, aimeriez-vous
en savoir plus sur notre maison d’édition et sur le processus de
publication?
Nous serions honorés de
vous compter parmi nos auteurs.
En espérant une réponse
rapide de votre part, je vous prie d'agréer l'expression de mes
salutations distinguées.
Passé le temps de la surprise
de recevoir un tel message aussi rapidement après l'inscription afin
de me voir proposer une publication ma thèse, qui n'est qu'un vaste
chantier actuellement, je décide tout simplement d'ignorer
cette démarche, qui me semble pour le moins cavalière. L'auteur de
ce message espère même une réponse “rapide” de ma part.
Je suis très bien placé
pour savoir que publier un ouvrage peut parfois relever du parcours
du combattant. Pour le livre collectif que nous avions sorti en 2012
avec l'Association d'Histoire du Lycée de Savenay (AHLS), Savenay,
jeune lycée, vieux murs, il nous a fallu lancer une souscription
afin de récolter beaucoup de fonds pour financer l'impression du
livre. Cela a pu fonctionner car nous étions nombreux et nous
connaissions du monde. Et malgré cela, ce ne fut pas simple. Pour
l'ouvrage que j'ai sorti en 2014, De l'histoire au patrimoine, la
Forge Neuve, Moisdon la Rivière, j'ai du faire face à un bon
nombre de refus de la part d'éditeurs qui ne voulaient pas publier
chez eux un ouvrage qui portait sur un sujet aussi pointu. C'est
finalement la Société Historique du Pays de Châteaubriant (HIPPAC)
qui a littéralement sauvé mon projet fin 2014. Sans l'HIPPAC, le
livre sur les forges ne serait peut-être jamais sorti !! En 2019,
pour le livre que nous sortirons (INRAP + AHLS + d'autres
participants) sur le Couvent des Cordeliers, à Savenay, sans l'aide
de la mairie et de l'INRAP, rien n'aurait été possible non plus !
Par conséquent, recevoir une
telle proposition venant d'un éditeur qui ne sait même pas sur quoi
je travaille pose sérieusement question sur le bien fondé de sa
démarche...
Une semaine passe, vient un
second message :
Bonjour
Monsieur Pérennès Ronan,
Je
vous ai invité la semaine passée à publier gratuitement un livre
chez Éditions Universitaires Européennes. Avez-vous reçu ce
courriel?
Vous
pouvez trouver plus d'informations concernant nos services en
cliquant sur ce lien-ci:
http://brochure.omniscriptum.com/info-eue/0674983001454073475
Au
plaisir d'une éventuelle collaboration artistique et scientifique
avec vous.
J'en conclus donc que pour
eux, une réponse “rapide” signifie une réponse quasi-immédiate,
car une semaine après le mail de rappel arrive déjà. N'ayant rien
à publier, et trouvant cette offre trop alléchante pour être
honnête, je décide de me renseigner sur cette maison d'édition.
Je tape “Éditions Universitaires Européennes” dans Google et
là...
Cette société aurait contacté beaucoup de doctorants, depuis au
moins depuis 2010, en France, en Belgique, et même au Canada sous
différents noms. J'ai trouvé une multitude d'avis, très mitigés. Méfiant, j'ai envoyé le mail dans ma corbeille sans y
répondre.
Pour résumer, cette
maison appartient à un groupe d'édition allemand, VDM Verlag, créé
en 2002. L'auteur peut publier aux EUE gratuitement un ouvrage, tout
se fait sur internet.
L'Université
du Québec explique en mai 2011 les choses de la manière suivante
sur le site des Presses Universitaires du Canada (mais là, on peut craindre aussi le conflit d'intérêt):
Comment
la compagnie opère-t-elle ? Des
travailleurs de la Moldavie et de l’Île Maurice récupèrent des
informations par le biais des bases de données de thèses et
mémoires disponibles au format numérique sur les sites des
bibliothèques universitaires. Ils utilisent ces données pour
contacter massivement par courriel des chercheurs pour leur offrir un
contrat des plus intéressants : publier leur thèse dans un
délai très court, sans frais, avec une redevance sur les ventes et
l’obtention d’une copie papier gratuite. Le problème (car vous
vous doutiez que tout était trop beau pour être vrai) est que le
manuscrit n’est soumis à aucune forme de révision ou
d’arbitrage : tous les travaux sont acceptés. Le livre est
mis en vente sur des sites comme Amazon à un prix exorbitant (plus
de 120 $ en général) et n’est imprimé que sur demande.
À
qui sont versés les profits ? VDM
Verlag ne paie pas de redevances aux auteurs lorsqu’elles sont
inférieures à 10 euros par mois. La quasi-totalité des auteurs
perdent donc leurs menus profits au bénéfice de la compagnie. Quand
on pense à la dizaine de milliers de titres du catalogue de la
maison d’édition, on imagine de quel ordre peut être le profit
engrangé par VDM Verlag. D’autant plus que les auteurs pour
lesquels leur livre leur rapporte entre 10 et 50 euros par mois ne
reçoivent pas non plus d’argent, mais plutôt une compensation
sous forme de coupon à échanger pour des livres produits par la
maison.
Est-ce
une fraude ? Ce
modèle d’affaire n’est pas une fraude en soi. Par contre, le
fait de publier chez VDM Verlag peut entacher le curriculum vitae
d’un chercheur, vu les pratiques non orthodoxes de la maison
d’édition. Aussi, nous vous suggérons de bien choisir votre
éditeur au moment de publier vos travaux. Il existe également
d’autres moyens de diffuser vos écrits sans passer par un
processus d’édition universitaire, comme un système d’archives
ouvertes comme Érudit. Soyez vigilants !
Afin que chacun se fasse son avis, je peux aussi citer
l'article de Claire Paulian, « Les éditions
universitaires européennes : du stock de livres au stock
d'auteurs », lisible ici :
- Une page Wikipédia existe
même à ce sujet ! Toutefois, certains faits sont cités sans
que toutes les sources ne soient citées, certaines informations sont
donc à prendre avec précaution :
https://fr.wikipedia.org/wiki/VDM_Publishing
Ce
qui ressort des différents signalements que j'ai pu lire sont que
les droits d'auteur ne seraient pratiquement pas (ou très peu) reversés. Ensuite, l'auteur devra assurer la
mise en page lui-même. Enfin, et c'est surtout cela le plus inquiétant lorsque l'on est doctorant, il n'y a aucun comité de lecture. Dès lors, quel degré de sérieux attribuer, dans un cadre universitaire, aux publications des EUE ? Et surtout, une publication chez un tel
éditeur ne risquerait-elle pas de compromettre la
carrière d'un éventuel
futur enseignant chercheur
qui se serait laissé tenter
par une maison d'édition
qui n'accorde pratiquement aucun gage
scientifique à ses publications ?
En réalité tout dépend donc de ce que vous voulez faire. Pour publier rapidement un ouvrage grand public, en noir et blanc, sans trop de contraintes, et sans rechercher une rémunération importante, les EUE peuvent faire l'affaire. Mais pour publier des travaux universitaires et les faire figurer dans un CV en vue de candidater pour être enseignant chercheur, c'est risqué, car le fait d'avoir publié un ouvrage chez un éditeur qui n'a pas de comité de lecture sera probablement pointé du doigt. Même
s'il ne s'agit pas d'une arnaque à proprement parler, la proposition se révèle en réalité bien moins alléchante qu'il n'y parait. Mieux
vaut donc faire preuve d'une extrême vigilance face à ce démarchage.